C'était une froide et pluvieuse journée de mars. Une de ces journées qui semble vous dire "reste chez toi, tu y seras bien mieux". Pourtant j'avais pris mon courage à deux mains et m'étais engouffré dans les rues glaciales de la ville. La pluie tombait en paquets d'aiguilles fines, si fines qu'elle mordait mon visage et mes mains, seules parties de mon corps qui n'étaient pas recouvertes d'une épaisse et chaude couche protectrice. L'hiver est rude en nos régions.Après un quart d'heure environ, grelottant, j'abandonnais l'idée même de me promener et m'engouffrais dans le premier café venu afin de me réchauffer autour d'un chocolat brûlant. J'étais, comme à mon habitude, seul, mais, prévoyant de nature, j'avais emporté avec moi un livre au cas où.
Sitôt la première page tournée, la froide journée de mars s'évanouit dans ce mouvement si cher aux lecteurs et fit place aux ardents rayons d'un soleil estival. Je quittais mon espace pour rejoindre celui, plus exotique, du Japon. Je partageais pour quelques heures le destin étrange et bouleversant de Yoshioka, étudiant en quête d'amour et d'argent, et de Mitsu, jeune fille au coeur d'or qu'il séduit et rejette.
Mon coeur s'était-il ramolli en raison de ce soleil de papier? Toujours est-il que je ne pus réprimer quelques sanglots à la lecture de certains passage d'une cruelle et triste beauté; pages traitant de la solitude, la lèpre, l'abandon.
Autour, le monde continuait de s'agiter comme si de rien n'était, alors que je levais mes yeux rougis par l'émotion procurée par ce livre. Les livres renferment des vérités solitaires et muettes que l'on ne peut partager. C'est un secret que l'on garde en soi à l'abri de la face grimaçante du monde; un secret qui vous rend plus solitaire et vous emplit néanmoins de son murmure de parchemin. On est moins seul quand on lit et il arrive parfois de trouver la vie plus réelle dans les livres que dans le monde lui-même.
Ainsi séparé des autres, à l'abri dans une bulle invisible, je contemplais les rues anonymes et leurs sourdes agitations. Tout cela était-il bien réel? Tout cela avait-il un sens? Une irrépressible envie de rire m'envahit. Tout cela paraissait si absurde que c'en devenait drôle. Qu'est-ce qui pouvait bien agiter l'humanité? Quels univers, quelles envies, quelles attentes se cachaient derrière la fragile dureté de nos boîtes crâniennes? Quelles noires pensées plissaient le front de cette dame à l'allure si irréprochable? Quelle est cette tristesse qui se terrait au-delà du sourire douloureux de cet homme en apparence si jovial? Quels secrets enfermait cet enfant taciturne?
J'aurais pu continuer ainsi pendant longtemps encore, mais voilà que ma mélancolie fut arrêtée par l'arrivée d'un bon chocolat bien chaud. La fumée emplissait déjà mes narines et mon coeur de son odeur délicate et sucrée. Le bonheur tient à peu de chose parfois!
Edouard
2 commentaires:
C'est tellement vrai tout ca. Heureusement que les livres existent.
Dommage que je n'aie pas assez de temps pour lire en ce moment....
Et pourtant, tu lis beaucoup ces derniers temps, mais ce ne sont pas des lectures "récréatives".
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