mardi, novembre 16, 2010

La femme et le génie

Une femme qui mâchait du chewing-gum dans un train vit apparaître un génie devant elle.

- Tu as trois souhaits, ma chère. Que désires-tu, dis-le et je te l'accorderai, lui dit le génie.
- Je ne désire rien, j'ai tout ce qu'il me faut, lui répondit la femme. J'ai tout pour être heureuse ; que pourrais-je demander de plus?

Sur ce, le génie embarrassé et surpris de voir quelqu'un d'aussi heureux - une première dans sa carrière de génie - demande à la femme de le délivrer. Et elle le fit, utilisant la un de ses souhaits, le premier et dernier. Trois mois plus tard elle épousa l'ancien génie.

Depuis, elle vit dans le malheur, ne possède plus rien et regrette le temps ou son mari exauçait les souhaits.

Jehan Delasource

Tableau : Der Schrei, Edvard Münch

Une vie


Un mardi, un homme sot alla faire ses sottes courses dans un bête magasin, dans une rue au nom si crétin qu'on ose à peine le prononcer.
Ce sot homme rencontra une sotte femme par cette sotte journée de mardi. Ils firent un sot mariage, eurent de sots enfants, eurent un sot métier.

- Là, je m'offusque, il n'y a pas de sot métier, juste de sottes gens.
- Bon ok, je retire ce que j'ai dit.

Ils travaillèrent sottement toute leur vie et, étonnamment, moururent sots.

Jehan Delasource

Tableau : Carnaval de Breughel

lundi, novembre 08, 2010

La complainte du canard

Un canard sur son lac se lamentait :

"Triste sort que celui de ma destinée ! J'ai beau patauger ou m'envoler, j'ai beau avoir pattes palmées et plumages à l'épreuve de l'eau, j'ai beau faire la joie des enfants, j'ai beau faire le beau, je n'en finirai pas moins dans l'assiette de quelques politiciens véreux sans aucune forme de procès. Et BB pourra dire, pourra tenter de faire, elle ne pourra aucunement me protéger."

Soudain une ombre surgit derrière le canard qui, apeuré, tente de s'envoler. Vaine tentative. Un grand coup retentit et le canard chute lourdement contre le sol. Brigitte Bardot tenait la carabine et se léchait déjà les babines...
Jehan Delasource

Le loup et l'agneau


Un agneau perdu vint à rencontrer un loup en pleine rue. Le loup demande à l'agneau ce qui lui vaut cette visite, mais le paisible et doux animal se jette sur le loup et le dévore tout cru.

Triste histoire que celle de ces deux créatures : la première fut mangée sans sommation ; la seconde, n'ayant de digestif en sa possession, mourut de coliques néphrétiques.

Jehan Delasource

mercredi, août 11, 2010

L'Homme pieux

J'aime égrener le chapelet de mes conquêtes
Tourner ces noms entre mes doigts
Liturgie paillarde ! Ô mes déesses
J'implore vos noms comme ceux des saints qui constellent le panthéon chrétien

Vos seins mesdemoiselles que j'aime tant caresser sont le pain sans levain
Elevé pour nous sauver
Et le vin pourpre de vos lèvres est le sang
Versé en rémission de nos trivialités

J'aime parcourir l'évangile de vos corps
Ô cantique des cantiques
Et joindre mes mains à la chute de vos reins

Délicieuses prières ânonnées à mi-voix
Silence religieux des alcôves
Reliques baisées avec ferveur
Vitraux aux lueurs d'Apocalypse

Vos églises ont pour moi de si charmants attraits...

Adoré Dousuraz

Tableau : Klimt, Judith

Rue des Lilas

C'est tranquille maintenant
Plus personne ne s'avance
Dans la rue des Lilas
Il n'y a il n'y a plus que moi

Les sirènes se sont tues
Le silence les remplace
Dans tes augustes bras
Il n'y a il n'y a plus que moi


Eructe et éclate explose et implose
Bombe ou amour qu'importe
Ils riment avec toujours


Rue des Lilas numéro trois
Un cœur tourne sur une broche
Et tu creuses une tombe à la pioche
Il n'y a il n'y a plus que toi

Adoré Dousuraz

Tableau de Yoshitaka Amano

lundi, août 09, 2010

La nuit transfigurée


La ville s'allume à l'approche de la nuit. Tout devient rouge, vert, jaune, ocre ; perdu dans une immensité noire.

C'est beau une ville la nuit.

A plus forte raison si l'on est myope, circulant sans lunettes : les lumières deviennent des halos pâles, des couleurs tombées d'une palette de peintre impressionniste ; belles par l'incertitude qui s'en dégage ; fleurs nocturnes qui s'ouvrent au regard des passants au regard hagard, hébétés, peut-être inconscients de ce qui se joue à portée de leurs yeux. Des papillons lumineux par centaines, par milliers.

Une ville, la nuit, est un monde ré-enchanté.

Au détour d'un carrefour, découvrir sous un éclairage neuf une portion de rue mille fois parcourue et qui, ce soir là on ne sait trop pourquoi, attire l'attention : un arbre jamais remarqué auparavant ; une portion de trottoir que l'on découvre pavée ; l'originalité d'une devanture de magasin ; l'entrée rococo d'une habitation. Tout, sous le bon éclairage, peut prendre forme nouvelle et capter une attention souvent vagabonde.

Hors la lumière, les sons peuvent eux aussi revêtir une importance particulière une fois la nuit bien avancée : les pas qui résonnent dans une ruelle vide ; des conversations surprises au détour d'un café ; le bruissement feutré des feuilles de l'arbre jamais remarqué auparavant ; le glouglou continu d'une fontaine indolente.

Nos sens sont en éveil à la nuit tombée.

Le désir suit le même chemin, atteint parfois des hauteurs insoupçonnées et se prend de vertige. Les immeubles ouvrent de grands et gourmands yeux dans l'obscurité ; et chaque fenêtre devient la scène d'un petit théâtre.

Qui sait ce qui se passe une fois le rideau retombé ?

De purpurines lèvres, entrouvertes déjà, imaginant les plus tendres caresses ou les plus fougueuses étreintes, embrassent un air chargé d'érotisme. Sont-elles seules ces lèvres désirantes, brûlant de mille fièvres dans un air soudain glacé ?

Refermé bien vite le livre aux images.

La ville, la nuit ; tout devient aussi trouble que le verre du peintre chargé de trop de couleurs. Derrière le verre, un sanglot déchire le drap de la nuit. Des larmes coulent des yeux jusqu'aux lèvres. Salées et en même temps tellement amères. Qu'elles sont dures à avaler ces larmes de solitude, ces larmes de désirs inassouvis !
La ville, ce grand œil dirigé vers cette unique fenêtre, grande inquisitrice que rien n'émeut, pas même ces quelques larmes, apparaît maintenant dans toute son horreur :

aussi belle qu'elle est cruelle ; figure aussi riante que grimaçante ; amante meurtrière qui foule aux pieds sans jamais se préoccuper ; cadavre pourrissant et exhalant d'infectes odeurs à chaque coin de rue sombre ; sourire édenté que l'on porte en collier ; aveugle colère qui pointe du doigt et abat toute sa fureur.

Là, là, contre le carreau de cette fenêtre unique...

Edouard

Tableau : Edward Hopper, Night Hawks

samedi, juillet 31, 2010

Interlude

Terrasse d'un café. Deux personnages boivent un verre, fument des cigarettes. Verres de bière, cendrier bien rempli sur la table. Bruit de la rue en arrière fond.





Vladimir


Taisez-vous! Taisez-vous ou partez!

Henri

Allons, du calme Vladimir. Aux autres. Vous inquiétez pas, rien de grave, juste un coup de trop. A Vladimir. Eh bien, t'en tiens une sacrée couche. J'veux bien que l'alcool te gâte, mais quand même là t'y vas fort...

Vladimir

Rien à foutre! Et foutez-moi la paix tous autant que vous êtes. Oui, même toi Henri. J'en ai assez de votre pitié, j'en ai assez de votre commisération. Merde! allez tous vous faire mettre!!! J'en ai assez de tous ces yeux, de tous ces yeux qui... qui m'observent sans cesse, me jaugent, me jugent. Ah ils sont beaux tous ces coquins mis sur leur trente-et-un, tous ces salauds qu'ont l'air beaux, me regardent de haut ; mensonge que tout cela, je vois clair derrière vos façades. Hop encore un coup, ça m'aide à voir plus clair. Rhaaa, que l'humanité est laide quand on la regarde avec lucidité.
Allez vous faire foutre!
Il part

Henri

Et bien, et bien ! Bien bien bien bien bien. Il soupire. Non, ça ne va pas. Ça ne va pas du tout, du tout. Qu'est-ce que c'est que ce cirque? Fou! il est devenu franc fou! Vladimir, mon cher Vladimir, quelle mouche t'a donc piqué? Aux clients de la terrasse. Depuis que je le connais, et Dieu sait si ça remonte à loin, je ne l'ai jamais vu dans un tel état. Pardon pour le désagrément, j'espère que cela ne se reproduira plus. Mais bon, avec lui rien n'est moins sûr... A lui-même. Diable dans sa boite qu'on aurait dérangé, foudre des cieux qu'on aurait abattu sur lui, fleuve qui déborde, ras de marée, tremblement de terre humain, sacré Vladimir! Diable, que lui arrive-t-il? Vladimir! Vladimir!

Il sort à la poursuite de Vladimir

Edouard

Tableau : Egon Schiele, Double portrait

vendredi, juillet 30, 2010

Le secret

Pleurer comme à l'origine

Caresser les ailes des fées
Rêver les bras ouverts à tous les vents
Siffler des airs inconnus

Rouler au fond des fossés
Rire à gorge déployée

Manger des poignées de bonbons
Mentir comme un arracheur de dent

Bâtir des châteaux sur le sable
Voler au fond d'un ciel océan

Inventer des secrets éternels
Jurer cracher la main posée sur le cœur

Effeuiller la marguerite au bord du précipice
Murmurer des je t'aime à l'écorce des arbres
Sentir le goût sucré salé des premiers baisers
Avant l'amertume
Avant les ruptures

Tourner
Tourner dans le vert des prairies
Le cœur hors de soi
Entre rires et dégoût les genoux écorchés

Plonger la main au fond d'un sac de souvenirs
Et s'apercevoir que tout cela
Ne reviendra
Plus!

Adoré Dousuraz

Tableau : Gustave Moreau, Oedipe et le Sphinx

jeudi, juillet 29, 2010

Melping Top 2

Coucou, c'est tonton Christobald qu'est de retour pour tailler l'bout d'gras question musac. J'ose espérer que vous avez usé vos semelles sur The Archandroid, parce que sinon à quoi qu'je sers? Faites-moi confiance...


Le groupe Goldfrapp continue son bonhomme de chemin, suivant leurs envies du moment. Finies les atmosphères glaciales et cinématographiques de Felt Mountain, finie l'électro hystérique et dégoulinant de sexe éclairé par le fluo des néons de Black Cherry, finies les escapades electro-glam à tendance déglinguée de Supernature, finies les atmosphères estivales et bucoliques de Seventh Tree ; place à la pop décomplexée du petit dernier, Head First.

Goldfrapp a décidé de montrer à quel point ils se foutent des modes et des attentes en publiant leur opus le plus pop à ce jour, affichant -revendiquant?- une propension au mauvais goût, l'assumant même. On reconnaît de ci, de là des influences que d'aucuns chercheraient à cacher (Abba, ELO, Depeche Mode à ses débuts, de l'Italo disco également, etc) parce que quand même on vaut mieux que ça et c'est tellement mieux de citer des groupes que personne ne remettra en cause.
Grande prise de risque pour un groupe sous-estimé, alors même qu'ils s'attaquent à un genre musicale fortement populaire mais qui pourrait leur coûter une certaine crédibilité dans le milieu musical. Les fans de la première heure vont hurler au sacrilège, ceux d'hier vont en perdre leur latin et les autres vont peut-être enfin découvrir ce groupe des plus intéressants, mais par l'album qui l'est le moins... Oui, Head First paraît bien pâlot en comparaison de ses prédécesseurs. La faute à une influence trop eighties à mon goût (à se demander si le groupe ne cherche pas à enterrer ce revival une bonne fois pour toute, sorte de réponse élégante à tous les La Roux, Ladyhawk et consort), pas désagréable en soi, mais Goldfrapp nous a habitué à mieux ; à force on devient exigent, ma bonne dame. Reste toutefois la voix d'Alison qui permet d'habiller de belle manière ces plaisirs coupables que sont les neuf chansons de cet opus (parce que même si on est un brin déçu, on remue quand même du popotin). Et n'oublions pas de souligner le joli travail de Will Gregory, deuxième membre du groupe, l'homme derrière les machines, qui nous pond des arrangements bien plus malins qu'il n'y paraît de prime abord, même si passablement masqué par des compositions en apparence très putassières.

Un album en demi-teinte donc, vivement la suite (heureusement les clips montrent qu'ils ont décidé de rire un bon coup et ne se prennent pas vraiment au sérieux)!

Tonton Christobald

Coups de cœur : Dreaming, Hunt, Shiny and Warm même si me rappelle furieusement Satin Chic, Voicething.

dimanche, juillet 25, 2010

Melping top1

V'là-t'y pas que l'été en est à son zénith, on a beau s'tartiner, s'badigeonner ou s'oindre le corps qu'on finit tout cramoisi, tout comme l'écrevisse dans son jus. Pas l'moment d'se laisser abattre et qu'importe les marques inesthétiques du maillot qui vous laisse le cul blanc (suis sûr que les lectrices font toutes topless) comme du poulet ; c'est l'moment de faire confiance à tonton Christobald pour vous proposer une bande son idéale et estivale -ou pas- et surtout bandante. Ne m'remerciez pas, je suis comme ça : le cœur sur la main et la main dans l'calecife.


Nouvelle sensation du moment, mais pour une fois méritée : Janelle Monae.
J'vous préviens qu'ça va swinguer à mort dans vos chaumière. Handicapé de la danse ou du popotin, z'allez vous casser le col du fémur. Impossible de ne pas commencer à bouger à l'écoute de c'disque de folie furieuse. Mélange de pop, r'n'b, hip hop, jazz, classique (pour les suite II overture et suite III overture), même rock dinglingoguingué (en collaboration avec Of Montreal, forcément), elle nous montre qu'elle n'est pas qu'un joli minois qui danse super bien. Sérieux! c'te donzelle, elle a eu de sacrées bonnes fées qui se sont penchées sur son berceau. Elle a réussi à me réconcilier avec le r'n'b, ce genre devenu indigent au fil des nouvelles pseudos égéries sous cellophane et interchangeables, façon saucisse de supermarché que l'on ferait chanter dans une production aux petits oignons. Mais là, miracle! elle nous propose un concept album complètement barré avec un androïde du futur qui revient à notre époque pour nous sauver (d'où le titre de l'album) - et je vous la fait courte, parce que c'est autrement plus fou. En plus, pour n'rien gâcher, elle a une voix mais une voix... qu'elle peut moduler à l'envi, pouvant passer de la ballade furieusement 60's aux hurlements hystériques et pourtant toujours justes!

Tonton Christobald

Coups de cœur : Faster, Sir Greendown, Cold War, Tight Rope, Come Alive (The War of the Roses), Wondaland, BaBopByeYa - montez l'son et poussez les meubles, vous allez shaker vos booty!

vendredi, juillet 23, 2010

Elle rêve


Elle rêve nue dans l’aube claire ; indolente et fragile, sa tête reposant sur sa main, elle baigne dans l’orangé des premiers rayons de soleil. L’aube est tiède, mais elle frissonne. Des poils se hérissent pour capter toute la chaleur dont elle a besoin en ce moment. Elle a la chair de poule. C’est à la fois grotesque et tellement réconfortant : elle est humaine, comme n’importe qui et pourtant ; elle échappe, en cette instant, à ce qualificatif, suspendue entre l’universel et l’inaccessible.

Comment ne pas aimer cette femme endormie dont les paupières, barrières si fines et pourtant véritables barrages, retiennent le secret de ses nuits ?

Elle offre, impudique, son visage de vierge triste qui a joui, mais elle scelle, profondément en elle, les remous et tumultes de son âme. Elle mêle générosité pure, parfait abandon avec le plus complet égoïsme. Par instant, elle semble former un cercle si parfait que le monde lui-même en devient accessoire, presque dérisoire ; et l’instant d’après, éparpillée et fragile, le monde se réinvente pour l’envelopper dans une amniotique béatitude.

Bien que toute entière plongée dans ses songes, elle donne son odeur en offrande ; une odeur salée et légèrement musquée de corps après l’amour, sauvage, animale et en même temps tendre, délicate. Il faudrait l’enfermer cette odeur, en capter toutes les nuances, en faire ressortir tout le spectre complexe et subtile et qui laisse au coeur de suaves images, vous hante des heures durant.

Enivré, enivré d’elle ! La tête pleine de ses arômes jusqu’au vertige. Elle danse, forme spectrale née de son essence, fleur suspendue à sa tige se balançant au gré des vents.

Femme, l’est-elle encore, elle, si multiple ; évanescente image démultipliée sur le bûcher mortifère, phénix toujours renaissant de ses cendres ?

Au loin la cloche d’une église sonne. Déjà les rues fourmillent de leur habituelle agitation, indifférentes et inconscientes du miracle qui se produit dans cette alcôve : elle dort paisible et sainte en ce lit, enlaçant de ses bras devenus lianes un corps long et fluet, ivre de baisers, ivre de tout, ivre de vivre - ivre d’elle !

Edouard

Tableau : Cabanel, La naissance de Vénus

mercredi, juillet 21, 2010

Aux heures incandescentes

Rouge, aujourd'hui est un jour rouge. Sanguin, brûlant, vivant. Rouge comme un soleil couchant, chaud comme un zénith de juillet.

Ah, voir la mer! La revoir et m'étendre sur le sable gorgé de soleil...

Oui, aujourd'hui est un jour assurément rouge. Rouge comme un rêve bouillant d'adolescent. Rêver, le sang battant les tempes au rythme régulier des chimères qui se font et se défont , vont et viennent dans une tête ouverte à tous les vents.

- Tu te fais poète à présent? Toi, misérable sans talent, tu oses toucher aux voix du sublime? Combien de temps n'as-tu pas écrit, pas même ton incessant, inutile verbiage? Et maintenant tu t'imagines habillé de Poésie? Pauvre fou! Jeune, nous pourrions comprendre ton audace, ton culot ; lucide dans ta vie, te voilà fou en écriture !

- Je n'ai pas à me justifier. La poésie est le sang qui coule en mes veines, la voix qui m'habite et m'entraîne. Qu'importe que je ne tutoie les sommets, je vouvoierai les plaines. Redonner valeur au réel, à l'anodin, au charnel ; à l'humain. Le XXIème siècle résonnera/raisonnera du chant des poètes trop longtemps tu par un siècle de feu et de sang et de folie qui faillit l'étouffer complètement.

- Oh, l'ingénu !

- Ingénu? Mieux que cynique, triste maladie d'un siècle d'agonie. Tout, tout n'est que rictus étincelants qui blessent et percent. Le cynisme est la peste des esprits, une gangrène nauséabonde, un prurit causé par une vermine logée dans nos cerveaux. Personne n'y échappe et surtout pas les écrivains : ils vendent et contaminent par leur travail. Aucun monde meilleur à espérer ; utopistes bafouées par le cinglant rictus n'en finissent plus de rendre et les armes et l'âme.
Question : nous relèverons-nous un jour?

- Pauvre fou !

- Fou, lucide et vivant ! Et qu'importe si j'avance sur des paradoxes.

- D'autres avant toi...

- Oui, d'autres avant moi on fait ce pari fou d'imaginer un monde meilleur, de lutter avec ce monde comme Jacob avec l'ange. Lutter avec, non pas contre. Construire plutôt que détruire. Le sang fume encore et exhale son écœurant parfum sur tous les champs de batailles d'hier et d'aujourd'hui. Stoppons cette hémorragie avant que notre humanité, exsangue, n'expire tout à fait.
Mais l'homme est fou et il serait plus facile de désespérer et de sombrer dans de noirs ventres que d'oser imaginer que même dans les plus noires ténèbres se trouve...

- La lumière? Que tout cela est cliché. Je ne te savais pas si indigent dans ta réflexion.

- Tout ça parce que j'ose imaginer un mieux plutôt qu'un pire? Je devrais donc me rallier à l'opinion globale ; jeter bébé et l'eau du bain, sauter par la fenêtre et allumer des feux à coup de bombes atomiques, c'est bien ça? Mais je ne fonctionne pas ainsi. Je ne veux sombrer dans une béate et confortable désespérance.

- Mais dis-moi, sérieusement, où te mène ce discours, où veux-tu en venir?

- Touché ! Tu ne me connais que trop bien. Le plaisir du soliloque, le plaisir de l'écriture, mais dans quel but? Glisser sur la page blanche, sans but, errer...

- Comme dans ta vie?

- Tout juste.

- Et tu oses te la jouer espoir et tout le toutim?

- Je ne suis pas à un paradoxe près.

- L'hôpital qui se fout de la charité, si je comprends bien?

- Plutôt le paradoxe qui se fout de toute logique...
Attention à ne pas trop me provoquer, car je risque de te renvoyer fissa dans les limbes de mon esprit.

- Des menaces?!! après ton discours poético-pacifiste. Fallait oser ce grand écart. Chapeau bas, je m'incline.

- Tu connais mon amour de la danse...

- De là à faire danser les mots de la sorte.

- Tout est permis en ces pages, non?

- Et tu ne te gênes nullement pour le prouver. Attention quand même au claquage.

- Je ne saisis pas.

- A trop faire de grands écarts.

- Toujours cette propension à vouloir jouer avec les mots, à ce que je vois.

- Rien qui ne te soit étranger. Tu n'es quand même pas une énigme pour toi-même?

- Peut-être bien. J'ai parfois le sentiment de n'être qu'un point d'interrogation dans l'immensité, une tête ouverte à tous les vents. Ils soufflent ; et elle siffle, et elle siffle, et elle siffle. Quelle belle musique que celle du fou qui se murmure à l'oreille des secrets dont il ne sait rien.

Edouard

Tableaux :
Georges de La Tour, Memento Mori
Paul Delvaux, Le Miroir

lundi, juillet 19, 2010

Aux Bains des Pâquis

Doux son du roulis des vagues qui vont, viennent et s'écrasent sur les rochers polis au fil du temps, au fil de l'eau.

Une bise s'élève sur le lac aux reflets azurés.

Il y a un parfum d'ailleurs, alors même que c'est toujours le même pays, la même ville, le même lieu. Sentiment étrange emprunt d'une certaine magie.

L'air embaume des effluves de crèmes à bronzer, de nourriture grillée, de corps appétissants et dorés à point.

Une certaine tension sexuelle plane. On peut, pour ainsi dire, la palper, et pas uniquement parce que les corps se chevauchent presque. C'est le grand étalage de chairs humaines venues prendre le soleil. Elles luisent et suent à grosses goutte sous l'astre divin avant de revêtir, d'un plongeon, un manteau d'eau fraîche.

Également lieu de rencontre et d'émois des adolescents, ils s'y testent, se jaugent, se jugent, s'observent de près ou de loin, se papouillent, se chatouillent, s'embrassent, se pourlèchent ostensiblement et bruyamment sous les regards réprobateurs de têtes chenues ou blanchies par le temps.

Tout se confond. Tout se mêle. Allongés sur des serviettes de bains, tous semblent égaux. Ou presque. Ça parade un peu, ça clin d'œil à qui mieux mieux, ça cherche beaucoup à séduire et ça jacasse tellement que l'on croirait l'humanité devenue soudain volatile : une immense volière où les oiseaux piaillent sous un ciel limpide qu'ils ne parcourent même plus.
Le jour suit son cours impassible, insensible à ce qui se passe sur cette étendue avancée dans une eau sans nuage. Il a beau annoncer son déclin a grand renfort de rouge, de rose, d'oranger, les gens continuent à s'entasser; en quête d'un peu de fraîcheur ou de chaleur humaine - excusez le paradoxe!

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La nuit a éteint le soleil. Ne reste, dans la pénombre, que de fantomatiques formes se mouvant imperceptiblement et le son des vagues. Régulier. Monotone. Envoûtant. Une berceuse pour qui sait écouter; la quiétude retrouvée au fil de l'onde épousant la terre. Le dur et le mou réuni, s'embrassant pour l'éternité sous le regard borgne d'une lune complice.

Edouard

Tableau : Ophélie de John Everett Millais

mercredi, juillet 14, 2010

Canicule

Elle se baignait dans la lumière chaude et dorée d'un soleil d'été. Elle se baignait les yeux fermés, inconsciente du monde autour d'elle, inconsciente des regards lourds de sous-entendus dirigés vers son corps à demi nu. Elle incarnait à elle seule jeunesse et désir, d'une manière presque arrogante, alors même qu'elle n'en avait aucunement conscience. Elle fascinait autant les hommes que les femmes. Les premiers nourrissaient de belles fièvres à son contact, un sursaut primaire rejaillissait en eux que des années d'éducations, des millénaires de civilisation ne parvenaient à éteindre tout à fait ; les secondes nourrissaient un mélange de fascination, de jalousie et de haine à son égard. Décemment, elles ne pouvaient nier l'ascendant que May avait sur elles, mais en même temps l'admettre avait quelque chose d'insupportable, d'insoutenable. Plus les femmes étaient vieilles, plus elles la haïssaient allant jusqu'à cultiver cette haine, la faire croître au point de devenir un arbre à l'écorce dure, impossible à abattre.

Le corps allongé sur une serviette de bain placée non loin de la piscine, elle dormait, paisible, loin de se douter de la tension grandissante à son égard. Le mouvement de sa respiration régulière soulevait sa poitrine en une hypnotisante oscillation, tout à la fois reposante et provocante. Toute la beauté du monde semblait se concentrer dans le corps encore juvénile de cette jeune femme endormie. On aurait dit un fruit appétissant qui n'attendait qu'une chose : une main pour le saisir, une bouche pour y mordre. Ainsi posé sur l'herbe tendre, ce fruit humain aurait pu faire le bonheur d'un Paul Delvaux qui aurait troqué ses quais de gare et ses locomotives pour des piscines et des touristes teutons aussi à vif que des saucisses.

La situation avait quelque chose de surréaliste, si l'on prenait le temps d'y réfléchir un peu. Une femme aussi belle dans un lieu aussi... aussi commun et, par certains aspects, aussi vulgaire. Quelque chose clochait, comme si l'on mettait la vierge Marie dans un sex-shop. Ça détonne, ça ne joue pas, ça choque, c'est incongru, ridicule, incohérent ; ça fait mal aux yeux, au cœur, à l'âme. Que venait faire en ce lieu une beauté sur-réelle, presque irréelle, semblant flotter bien au-dessus de nous autres saucisses cramoisies agglutinées autour du rectangle bleu de la piscine, oscillant entre désirs libidineux ou jalousie féroce, selon le sexe?

Edouard

Tableau : Second story sunlight de Edward Hopper