mercredi, juillet 14, 2010

Canicule

Elle se baignait dans la lumière chaude et dorée d'un soleil d'été. Elle se baignait les yeux fermés, inconsciente du monde autour d'elle, inconsciente des regards lourds de sous-entendus dirigés vers son corps à demi nu. Elle incarnait à elle seule jeunesse et désir, d'une manière presque arrogante, alors même qu'elle n'en avait aucunement conscience. Elle fascinait autant les hommes que les femmes. Les premiers nourrissaient de belles fièvres à son contact, un sursaut primaire rejaillissait en eux que des années d'éducations, des millénaires de civilisation ne parvenaient à éteindre tout à fait ; les secondes nourrissaient un mélange de fascination, de jalousie et de haine à son égard. Décemment, elles ne pouvaient nier l'ascendant que May avait sur elles, mais en même temps l'admettre avait quelque chose d'insupportable, d'insoutenable. Plus les femmes étaient vieilles, plus elles la haïssaient allant jusqu'à cultiver cette haine, la faire croître au point de devenir un arbre à l'écorce dure, impossible à abattre.

Le corps allongé sur une serviette de bain placée non loin de la piscine, elle dormait, paisible, loin de se douter de la tension grandissante à son égard. Le mouvement de sa respiration régulière soulevait sa poitrine en une hypnotisante oscillation, tout à la fois reposante et provocante. Toute la beauté du monde semblait se concentrer dans le corps encore juvénile de cette jeune femme endormie. On aurait dit un fruit appétissant qui n'attendait qu'une chose : une main pour le saisir, une bouche pour y mordre. Ainsi posé sur l'herbe tendre, ce fruit humain aurait pu faire le bonheur d'un Paul Delvaux qui aurait troqué ses quais de gare et ses locomotives pour des piscines et des touristes teutons aussi à vif que des saucisses.

La situation avait quelque chose de surréaliste, si l'on prenait le temps d'y réfléchir un peu. Une femme aussi belle dans un lieu aussi... aussi commun et, par certains aspects, aussi vulgaire. Quelque chose clochait, comme si l'on mettait la vierge Marie dans un sex-shop. Ça détonne, ça ne joue pas, ça choque, c'est incongru, ridicule, incohérent ; ça fait mal aux yeux, au cœur, à l'âme. Que venait faire en ce lieu une beauté sur-réelle, presque irréelle, semblant flotter bien au-dessus de nous autres saucisses cramoisies agglutinées autour du rectangle bleu de la piscine, oscillant entre désirs libidineux ou jalousie féroce, selon le sexe?

Edouard

Tableau : Second story sunlight de Edward Hopper

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Très agréable à lire.

Le Clan des Coco's a dit…

Héhé, merci beaucoup ^^. J'avoue que c'était bien le but recherché et c'est donc réussi.