dimanche, février 10, 2008

Première fois 3 (suite et fin... enfin!!!)

Il était une troisième fois en cet interminable jeudi après-midi, notre improbable justicier masqué descendu de son fidèle destrier, face à une horde d'élèves cruels et sanguinaires; pour ceuces du fond qui ne suivent toujours pas, bah qu'ils se rendorment. Na!

Les enfants sortirent avec forces et fracas leur matériel de dessin : qui des crayons de couleurs, qui des feutres, qui - tiens c'est la première fois que je vois cela - de l'encre spéciale afin de terminer la coloration de leurs sous-mains - car oui ma bonne dame, ici à Genève on le fabrique soi-même, y'a pas de raisons... Multiples allers-retours des poucets de leur place au lavabo et du lavabo à leur place; et je dis poucets comme j'aurai pu dire Larousse : ça sème à tous vents! ça promet.
Un instant de répit, je vais pouvoir revenir à ce fameux problème incompréhensible de mathématiques. Une main se lève

- Je peux aller aux toilettes?

Argh! la question qui tchue! Mmmh, ça fait à peine dix minutes qu'on est en classe, il aurait quand même pu y penser avant. D'un autre côté, j'ai pas vraiment envie qu'il fasse pipi dans ses culottes; on n'a pas le même contrôle de sa vessie à son âge et au mien.

- Oui, c'est bon tu peux y aller.

Et là, c'est comme si vous veniez d'ouvrir la boîte de Pandore. Subitement, une épidémie de pipi-ite aiguë se répand dans la classe. Tous incontinents à dix ans. Forcément vous n'êtes pas complètement dupe - on a été jeune autrefois (voix chevrotante), vous avez conscience que la moitié d'entre eux n'a pas du tout envie d'uriner; seulement voilà, et d'une, un élève a eu l'autorisation de s'éclipser en des lieux plus secrets; et de deux, s'il s'avère que l'un d'entre eux a réellement une envie pressante vous serez la cause d'une cuisante humiliation dont il se souviendra toute sa vie - merci Monsieur, merci Madame!!!

N'empêche qu'avec tout ça l'heure tourne et en regardant bien le plan horaire prévu par le maître d'école, dans cinq misérables minutes : leçon de mathématique. Pendant que les élèves rangent leurs affaires, un dernier petit coup d'œil à la consigne. Brouaha dans la classe, moment de transition oblige. Bon, ne reste plus qu'une solution : bluffer!

- Nous allons passer aux mathématiques, ouvrez votre livre à la page 57 ( garde ton calme, fais comme si tu avais tout compris à la donnée et ils ne remarqueront rien). Quelqu'un veut lire la donnée?

Nombreuses mains qui se lèvent - ah quel enthousiasme, ça fait plaisir. Un élève s'exécute (mais non, personne ne s'est suicidé; rendormez-vous au fond!)

- Très bien (en réalité ça ne va pas du tout. Trouver une solution et vite!). Alors, après lecture de la donnée, que pensez-vous qu'il faille faire? (Ahaha, vous ne vous y attendiez pas à celle-là. En plus c'est tout à fait dans l'optique de la nouvelle pédagogie - et là je ris.)

Après quelques propositions de quelques enfants, j'ai eu le temps, un peu aidé il est vrai, de comprendre le but profond de l'exercice. Après distribution du matériel, par groupe de deux ou trois, ils s'attellent à la tâche. Et là, sincèrement ça devient intéressant : je circule dans la classe, j'observe que tout se passe bien, je guide ceux qui ont un peu plus de difficulté sans leur donner tout de suite la solution. Tout de suite le temps passe plus vite.

Tiens, déjà la récrée et je dois surveiller le préau. Discussion avec l'autre professeur présente. Une Gretel vient toute pleurante nous dire que quelqu'un a essayé de l'étrangler. Super. Pas le temps de comprendre ce qu'elle raconte entre deux hoquets; voilà qu'un mouvements de gnomes se profile à l'horizon. "Baston, baston, baston", ils forment un cercle autour des deux lutteurs, des sixièmes, les plus grands bien évidemment. Juste le temps d'intervenir au moment où ils en viennent aux mains. Retour à l'ordre, un peu plus attentif néanmoins, les lutteurs se regardant du coin de l'œil. La cloche sonne. Fin de la récrée. Ben voilà, les enfants d'hier et d'aujourd'hui sont bien toujours les mêmes. J'ai une furieuse envie de rire quand j'entends les gens dire que "ah, les enfants c'est tellement mignons, de vrais petits anges", etc. Une petite visite à l'école durant la récréation leur remettrait les pendules à l'heure. Mais pour le coup, le justicier masqué avait encore œuvré dans le sens de la justice.

Retour dans la classe, le justicier apprend de ses précédentes erreurs; ah quel chacal!

- Si vous avez besoin d'aller aux toilettes, allez-y maintenant, après je n'autoriserai plus personne à sortir de la classe. Apprenez à prendre vos précautions avant.

Non mais! autant juguler la pipi-ite aiguë avant qu'elle ne se propage à nouveau. Retour à l'exercice de math. En circulant entre les bancs, je commence à observer plus finement les élèves, leurs comportements, leurs caractères : ici, un timide dont on n'a pas encore entendu le son de la voix; à côté, l'incontinente verbale à qui l'on doit régulièrement rappeler que la classe n'est pas un salon de thé; l'enthousiaste, toujours prêt à vous raconter sa vie; le ou la rebelle, décidé à vous casser les pieds - tu peux toujours essayer petit(e), j'ai de nombreux neveux et nièces et mes frères et sœurs ont chacun leur putain de caractère; j'ai de l'entraînement et une patience à toute épreuve; les charmeuses, à peine dix ans et elles ont déjà compris qu'elles ont un potentiel de manipulation qui ne demande qu'à être rodé, mais là, assurément, elle trouve que le remplaçant il est tellement trop beau, tellement plus que Monsieur ***, leur vieux prof qui ressemble à un champignon ratatiné; et tant d'autres dans lesquels on se reconnaît un peu.

En jetant un bref coup d'œil à la pendule je m'aperçois que dans cinq minutes ce premier remplacement sera terminé. Ouf, j'ai survécu, personne n'est mort ou n'a eu d'accident.

- Vous pouvez commencer à ranger vos affaires le plus calmement possible (pour le silence faut oublier). N'oubliez pas de me rendre vos travaux. Ramassez les papiers qui traînent par terre et mettez votre chaise sur votre pupitre.

La petite troupe s'exécute (non! rendormez vous au fond. Vraiment! Ce sera mieux pour tout le monde) avec force et fracas. Ça s'agite, ça grouille, ça se tortille. Je contrôle que mes directives soient bien appliquées. L'horloge sonne la fin de la journée. Les élèves s'en vont dans un tourbillon de cris et de rires. Pas un ne me dit au revoir, me laissant dans la perplexité la plus totale. Enseigner dans le primaire? Huh, jamais de la vie.

Le justicier masqué après avoir rendu le pouvoir à qui de droit - après tout je n'étais qu'un usurpateur! - retrouva son fidèle destrier qui l'attendait impatiemment. La nuit commençait à tomber sur le monde et sur ses idées, il s'enfonça dans l'obscurité naissante. Quand il fut complètement avalé par elle, un rire retentit...

Edouard

3 commentaires:

Anonyme a dit…

J'adore j'adore.... tu racontes trop bien! Je te l'ai déjà dit ? ben tant pis je le redis encore ! A chaque fois, je me laisse absorber par le texte tellement facilement...

Sinon, les autres remplacements se sont bien passés ?

Le Clan des Coco's a dit…

merci pour le commentaire. Les autres remplacements se sont très bien passés et m'ont réconcilié avec l'enseignement. Comme quoi il ne faut jamais rester sur une mauvaise impression.

Anonyme a dit…

Oui, il faut toujours persévérer ^^