mardi, août 08, 2006

La danseuse

Dans le silence religieux des fins d'après-midi, au moment où le ciel étend ses bras sanglants sur les toits de ce monde, elle joint ses mains à ses pieds et s'étire longuement sur le sol : inspire... expire... inspire... expire... inspire, encore... expire, toujours... ; allongeant un peu plus cet instrument qu'est son corps dans la tiédeur du jour qui, lentement, disparaît.

Elle se dresse ensuite, ligne perpendiculaire à la lumière qui s'éteint à l'horizon. Elle s'anime, la danseuse, jouet étrange qu'une fièvre sourde agite.
Demi-plié, tendu
Demi-plié, tendu
Grand-plié - elle enfonce ses talons dans le sol-
Tendu
Demi-pointe - les bras forment une couronne au-dessus de la tête -
Posé
Elle recommence encore et encore ces mouvements qu'elle a répété tant et tant; la danse est un sacerdoce et la danseuse prie de tout son corps.

Une fois ses muscles déliés, une fois son équilibre trouvé, somme toute une fois son corps échauffé, elle mêle au plus charnel le souffle de l'esprit; elle crée. C'est elle, la danseuse, c'est elle qui réconcilie le ciel et la terre, le sacré et le profane, la chair et le rêve. Toute une armée de prêtres ne saurait accomplir ce miracle : elle danse!

Un léger tressaillement l'anime : tout part d'un doigt, le doigt entraîne la main, puis le coude, l'épaule, la tête; le geste s'amplifie encore, encore, encore plus... La danseuse n'est plus qu'une flèche tendue entre terre et ciel, suspendue à la pointe de ses pieds.
Le mouvement retombe, elle le rattrape dans la corbeille de ses bras qu'elle berce doucement comme on bercerait un nouveau-né.
Rupture.
Les mains encadrent maintenant le visage, échangent leurs places, retrouvent leurs positions initiales. La nuque se tend; la colonne suit, se cabre puis ondule, serpent qui flotte dans l'air libre. Un mouvement de bassin coupe cette ondulation verticale et impose une horizontalité tournoyante. Le pied s'appuie lourdement sur le sol, s'y enfonce. Déclic.

Envol! La danseuse déploie ses jambes comme le cygne le ferait de ses ailes. Suspension...

Retour à la terre. Respiration saccadée. Poitrine s'ouvre. Se ferme. Se soulève. Retombe. Une perle de sueur glisse le long du nez, chute à ses pieds. Tout son corps lance, tire, crie, hurle; son corps n'est plus que douleur qu'elle supporte, qu'elle choisit librement, qu'elle aime - la danse est un sacerdoce.

Belle Ballerine au sourire douloureux
Pieds tuméfiés par l'exercice de l'art
C'est le Christ lui-même qui danse sur la croix
Epines aux pieds pointes couronnes


Edouard

5 commentaires:

Anonyme a dit…

A mon avis, c'est un des meilleurs poèmes que tu aies écrit. Il y a un travail dans la forme, dans le rythme. J'aime beaucoup les images et le rapprochement des champs sémantiques de la religion et de la danse. La danseuse et le danseur un trait d'union entre le ciel et la terre, entre la perfection et l'incomplétude humaine. Superbe!

Anonyme a dit…

Merci, c'est un travail que j'avais rendu pour l'atelier d'écriture, mais il n'a pas compté parce que ce n'était pas ce que demandait le prof.J'étais hors sujet... néanmoins il a dit que c'était agréable à lire.
Et puis j'ai sué sur ce texte, vu que j'avais des contraintes bien précises pour l'écrire. Tant mieux si le résultat est bon.

Ah au fait, t'as remarqué que Jen nous lisait depuis l'Argentine?

Anonyme a dit…

Toujours un plaisir de lire et relire ce texte! Moi je trouve que c'est bien plus qu'"agréable à lire", mais bon suis pas prof (heureusement d'ailleurs) ;-)

Anonyme a dit…

Eh bien je suis content que cela te plaise, ça fait toujours plaisir que d'avoir un retour positif...

Mais, dis-moi ne vas-tu pas lancer toi aussi un blog?

Anonyme a dit…

je tiens seulement à dire une chose ou la part de sensualité qui est propre à tout être humain est plus élevé chez toi que chez quelqu'un d'autre lol ou alors c'est que tu es un " écrivain potentiel " qui sait aussi bien jongler entre les mots qui décrivent une scène en ajoutant des mélanges de mots engendrant des émotions pleines de sensualité; enfin comme dit maye-linn je ne suis pas prof non plus... mais, J'ai bcp aimé ce texte ! continues...